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Entretien avec Rolf Landua...

... un physicien du CERN qui aurait pu inspirer le personnage de Leonardo Vetra créé par Dan Brown

Rolf Landua a été le porte-parole de l'expérience ATHENA au CERN, qui a produit des milliers d'antiatomes. Il avait accordé l'entretien qui suit au magazine italien Newton (cf. la version italienne en pdf)

Avez-vous aimé Anges et démons ?

Oui, beaucoup. Il est évident que l'auteur a pris certaines libertés en décrivant le CERN, mais le roman ne se veut pas un miroir fidèle de la réalité. J'aimerais vraiment que nous ayons des bâtiments futuristes, d'importants financements privés ou notre propre jet hypersonique (seule la NASA en possède une version expérimentale). En outre, même si le LHC, d'une longueur de 27 km, existera bien en 2007, notre véritable usine à antimatière s'appelle le décélérateur d'antiprotons (AD) et elle est beaucoup plus petite. Mais peu importe, j'ai beaucoup aimé la "chasse au trésor". Je me suis d'ailleurs inspiré de ce concept pour mettre en place des activités pédagogiques et ludiques dans le cadre de l'Année mondiale de la Physique 2005.

Que pensez-vous de Leonardo Vetra, le personnage du roman qui pourrait être vous?

Dans le roman, Leonardo Vetra est un physicien du CERN qui travaille sur la capture de l'antimatière et dont les recherches sont similaires aux miennes. Mais Leonardo est également prêtre, et c'est là que la ressemblance s'arrête. Il semble croire en un Dieu personnifié qui porterait un intérêt particulier à notre Terre, petite partie plutôt insignifiante de l'Univers, mais je ne partage pas ce point de vue. Pour moi, les lois de la physique qui régissent notre Univers et qui sont présentes en tout point de l'espace et du temps, comme "l'ADN cosmique", sont bien plus faciles à accepter en tant qu'image de Dieu, si c'est le terme que l'on veut employer.

Dans Anges et démons, Robert Langdon, le héros, est témoin d'une réaction d'annihilation matière-antimatière : on met un échantillon d'antimatière en contact avec de la matière, ce qui entraîne son annihilation immédiate et libère une énorme quantité d'énergie. Est-ce possible?

L'antimatière remet en question ce que nous pensions sur la matière. Imaginez un objet solide, une pièce de monnaie par exemple. Rapprochez-là d'une “anti-pièce de monnaie”, et les deux disparaîtront dans un éclair d'énergie. Il semble impossible que des objets apparemment solides s'évaporent pour produire un rayonnement, mais c'est pourtant exactement ce qui se produit!

D'après Dan Brown, "l'antimatière est la plus puissante source d'énergie : elle a un rendement de 100%, car elle transforme intégralement la masse en énergie, contre 1,5% pour la fission nucléaire. L'antimatière est 100 000 fois plus puissante que le carburant pour fusée : un seul gramme d'antimatière recèle autant d'énergie qu'une bombe nucléaire de 20 kilotonnes, la puissance de celle qui frappa Hiroshima." Mais, contrairement à une réaction nucléaire, elle ne produit aucun déchet dangereux ou polluant. Est-ce la vérité?

J'adore la science-fiction et c'est avec grand regret que je dois dire que Dan Brown a tort. Il est vrai que la rencontre d'un gramme de matière avec un gramme d'antimatière pourrait libérer autant d'énergie qu'une bombe atomique de 20 kilotonnes. Mais il reste un problème de taille : l'antihydrogène, composé d'un antiproton et d'un positon, n'est pas une source d'énergie. Fabriquer de l'antimatière gaspille beaucoup d'énergie car il n'existe pas de "mines d'antimatière" d'où l'on pourrait extraire de l'antimatière afin de libérer l'énergie accumulée. Même si de l'antimatière avait existé quelque part dans notre région de l'Univers, elle aurait disparu depuis longtemps en s'annihilant avec la matière ordinaire.

Au CERN, nous fabriquons de l'antimatière en produisant des collisions de particules accélérées à très haute énergie, c'est-à-dire en transformant de l'énergie cinétique en masse. Pourtant, même si nous pouvions manipuler les lois qui régissent le processus de production, nous serions toujours confrontés à la loi de conservation de l'énergie, qui empêche de produire plus d'énergie que celle qui était présente au départ. En fait, la production d'antimatière est un processus très peu efficace qui ne transforme qu'un milliardième de l'énergie initiale en une particule d'antimatière.

Est-il possible de fabriquer des bombes avec de l'antimatière?

Non, du fait de l'inefficacité du processus de transformation d'énergie en antimatière, nous ne craignons rien et nous n'avons pas à nous soucier d'éventuelles applications militaires. Prenons comme exemple l'hypothétique gramme d'antimatière de Dan Brown : avec la technologie actuelle du CERN, nous pourrions produire quelque 10 ng d'antimatière par an, pour un coût d'environ 10 à 20 millions de dollars, avant même de tenir compte du problème du stockage d'un si grand nombre de particules (environ 10 000 000 000 000 000 antiprotons). Il faudrait en effet 100 millions d'années - et un million de milliards de dollars - pour fabriquer un gramme d'antimatière, ce qui semble ambitieux, même pour l'armée américaine. Et pourquoi construire une bombe à antihydrogène de 20 kt quand il existe déjà des bombes mille fois plus puissantes (les bombes à hydrogène) dans les entrepôts des superpuissances ? Je ne pense donc pas que l'antimatière nous posera un problème moral.

Dans le roman, Dan Brown décrit d'antimatière comme un élément extrêmement instable et explosif qui s'enflamme au contact de tout autre élément… même l'air. Est-il vraiment si difficile de stocker de l'antimatière?

En effet, la description de Dan Brown est totalement exacte. Le pire ennemi des créateurs d'antimatière est... l'air et - bien sûr - toute autre matière. L'antimatière doit être tenue éloignée des parois de l'appareillage, dans un vide extrêmement poussé comme celui que l'on trouve dans l'espace. Nous utilisons des technologies de pointe et un environnement extrêmement froid (proche du zéro absolu) pour faire en sorte que les précieux antiprotons ne rencontrent pas d'atomes (de matière) sur leur parcours, sans quoi ils seraient immédiatement perdus.

Dans l'histoire, Leonardo Vetra utilise des champs électromagnétiques pour maintenir l'antimatière en suspension dans le vide, loin des parois de l'enceinte où elle est confinée. Utilisez-vous la même technique dans votre laboratoire?

Plus ou moins. Les constituants des atomes d'antimatière, c'est-à-dire les antiprotons et les positons, sont chargés et peuvent être manipulés facilement grâce à des champs électriques et magnétiques. Une fois formé, un atome d'antihydrogène est électriquement neutre et devient beaucoup plus difficile à capturer. Jusqu'à maintenant, nul n'est parvenu à stocker des atomes d'antihydrogène, et c'est précisément là notre prochain objectif. Mes recherches actuelles se concentrent sur la construction d'un piège à antihydrogène, exactement comme dans l'histoire de Dan Brown. Il a donc encore une longueur d'avance sur nous, mais la science essaie de rattraper la fiction.

L'antimatière a-t-elle déjà des applications pratiques?

L'antimatière a déjà une application pratique dans le diagnostic médical, la tomographie par émission de positrons : cette technologie utilise des atomes émetteurs de positons qui sont liés à certaines molécules spécifiques que l'on injecte dans le patient. On peut alors visualiser certains organes bien précis en détectant des rayonnements émis lors de l'annihilation de ces positons. Des applications médicales plus futuristes sont envisageables, par exemple l'utilisation d'antiprotons dans les traitements contre le cancer : les antiprotons pourraient-ils permettre de détruire les cellules cancéreuses plus efficacement ? Nous n'en sommes pas sûrs et c'est pourquoi une expérience menée au CERN étudie les effets biologiques de l'annihilation de l'antimatière. L'utilisation de l'antimatière comme une sorte d'allumette pour des fusées spatiales à fission nucléaire est plus proche de la science-fiction. Mais là encore, je ne peux que me ridiculiser en tentant de répondre à cette question, car l'histoire montre que les scientifiques se trompent très souvent quand ils prédisent l'avenir. Si vous voulez rire, lisez certaines déclarations des années 1960 sur l'utilisation des lasers ou des ordinateurs.

août 2005