L’expérience de l’invention
Physicien britannique arrivé au CERN en 1957, Francis Farley a monté la première expérience sur le moment magnétique anormal du muon et participé, depuis, à toutes les expériences relatives à ce phénomène.
« Un jour, j’ai reçu un télégramme du magazine Scientific American me demandant d’envoyer des détails sur mon expérience pour un article sur la Lune. Mon expérience n’ayant rien à voir avec la Lune, je n’ai pas répondu. Quelques semaines plus tard, j’ai reçu un nouvel appel. Et c’est là que j’ai compris qu’il y avait une faute de frappe. On me demandait des explications sur le muon, et non sur la Lune (moon en anglais). J’avais pensé, au début, qu’il n’y avait aucun lien entre le muon et la Lune. Mais il y en a un.
En effet, l’une des grandes énigmes du temps d’Isaac Newton était de comprendre comment la Lune sentait la présence de la Terre. Autrement dit, comment la force de gravité était transmise. Il en va de même pour l’électromagnétisme. Que se passe-t-il entre deux particules chargées qui s’attirent ou se repoussent ? C’est ce qu’explique la théorie de l’électrodynamique quantique. L’électron serait entouré d’un nuage de photons virtuels émis et réabsorbés. Si un autre électron arrive dans le nuage, des photons sont échangés. Une théorie similaire décrit la gravitation. Des gravitons virtuels seraient échangés entre le Soleil, la Terre et la Lune. Dans l’électrodynamique quantique, les photons virtuels changent le moment magnétique de la particule. Si l’on détecte cette variation, on a l’évidence directe de l’existence des photons virtuels et c’était l’objectif de notre expérience.
Notre premier article, en 1961, a connu un grand retentissement, car c’était la première fois que l’on mesurait le moment magnétique anormal du muon. Cette expérience a du coup constitué une rampe de lancement pour les membres du groupe qui partirent faire autre chose. J’étais le seul rescapé. Ensuite, j’ai travaillé sur la deuxième expérience et j’ai rencontré Emilio Picasso avec qui je me suis merveilleusement entendu. Nous avons formé une nouvelle équipe et nous avons énormément augmenté la précision par rapport à la première expérience. Comme notre résultat ne collait pas avec la théorie, nous avons eu des idées pour une troisième expérience. Au terme de celle-ci, nous sommes parvenus à une telle précision que nous avons décidé d’arrêter.
La science, comme je l’ai vécue, était d’imaginer et de créer des appareils qui n’avaient jamais existé, d’observer des phénomènes qui n’avaient jamais été observés et peut-être même qui n’avaient jamais été prédits par la théorie. C’est l’expérience de l’invention et c’est tout à fait extraordinaire. Le CERN était merveilleux pour deux raisons. Il donnait à des jeunes comme moi l’opportunité d’inventer dans un nouveau domaine et la chance d’évoluer dans un milieu international. »