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Vue de l'aimant d'ALICE

Un processus, pas un événement

Jürgen Schukraft intégra le programme d’ions lourds du CERN en 1986. Il travailla sur les expériences NA34 (HELIOS) et NA45 (CERES). Au début des années 90, il est devenu le porte-parole d’ALICE, la nouvelle expérience du CERN avec des ions lourds sur le grand collisionneur de hadrons (LHC).

Jürgen Schukraft« Le début du programme d’ions lourds du CERN fut à la fois fascinant et déroutant. Avec le super synchrotron à protons (SPS), nous avions une énergie bien plus élevée que les autres programmes de l’époque. Nous pensions que cela suffirait à réaliser un plasma quark-gluon. Il y avait donc une ambiance style « ruée vers l’or », mais personne ne savait vraiment ce que nous allions découvrir, ni quand. Durant les premiers jours, la télévision autrichienne envoya une équipe au CERN pour filmer en direct la « première détection du plasma de quarks et de gluons». Ils sont repartis déçus, réalisant que cela prendrait plus longtemps que ce que leur budget leur permettait...

Toutefois, dès la première année du programme d’ions lourds, on observa deux signatures prédites en cas de formation d’un plasma de quarks et de gluons : les particules contenant le quark étrange étaient plus nombreuses et le nombre de certaines particules contenant le quark charmé avait décru considérablement. En 1987, l’interprétation des premiers résultats des expériences avec des ions lourds alternait constamment entre « insignifiant» et « passionnant ». Le problème était que nous avions un jeu de données et deux séries d’explications. Il fallait affiner la théorie et collecter davantage de données. Finalement, il nous a fallu quinze ans pour trier et digérer les résultats.

À l’issue des deux premières années, j’étais un peu déçu et désabusé. Nous avions essayé longuement et en vain avec des ions légers, sans trouver de preuves flagrantes. Nous avions des données toujours meilleures, mais toujours pas d’interprétation unique. Lors d’une conférence, quelques mois avant la première moisson de données en 1986, Léon van Hove, ancien directeur général du CERN, avait dit : « L’analyse et l’interprétation [des données] sera longue et fastidieuse, d’autant que la plupart des résultats ne seront pas forcément très attrayants. » Il avait raison.

À partir de 1994, nous avons cependant été en mesure d’utiliser des ions véritablement lourds (ions plomb). Par ailleurs, une nouvelle génération de détecteurs allait offrir de nouvelles possibilités. Les signes indiquant que nous étions face à quelque chose de « différent » s’accumulaient. Début 2000, le CERN annonça la découverte d’un « nouvel état de la matière ». Cette découverte était en fait l’aboutissement d’un processus et non un événement unique. Elle représentait le résultat de toutes les données collectées les années précédentes. Et pourtant nous ne savions toujours pas avec certitude si ce « nouvel état » était enfin le véritable plasma de quarks et de gluons ou uniquement un état précurseur.

Actuellement, on continue à découvrir le plasma quark-gluon, mais par morceaux. En étudiant de nombreux signaux, on en apprend un peu plus avec chaque nouveau jeu de données. Le processus progresse désormais rapidement au Laboratoire de Brookhaven aux États-Unis. Le CERN reviendra sur le devant de la scène avec ALICE et l’énergie ultra-élevée du LHC. J’espère que d’ici là le plasma de quarks et de gluons aura finalement été « découvert » et que nous pourrons continuer à en étudier les propriétés dans le détail. »